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SILEX CATHÉDRALES

Il n’y a pas de paysage et si on change le point de vue, le paysage (abstrait) cesse d’être un paysage ou il n’est qu’un paysage détourné. A l’inverse, l’illusion d’optique préfabriquée et destinée à perturber notre cerveau pourrait devenir un paysage. Telle est la loi de la peinture. Il y a toujours une perspective sur la perspective. Dans cette série, on veut à la fois montrer des gestes d’artisans et totalement les occulter. Tout est simple, même la complexité. Tout est complexe, même la simplicité. Silex, sed lex.   Jean-François Clément

 L’ART DE FAIRE

 PORTRAITS

CATHÉDRALES

 de CORINNE COSTA ERARD

 SILEX  CATHÉDRALES

PAULINE "TERRIENNES"  HORTICULTRICE

(VOIR LE PORTRAIT DE PAULINE)

 SILEX  CATHÉDRALES

ATELIER VALENTINE LE SEC'H STYLISTE/MODÉLISTE

(VOIR LE PORTRAIT DE VALENTINE)

 SILEX  CATHÉDRALES

Camille Relieure

(VOIR LE PORTRAIT DE camille)

Le mot « cathédrale » a habituellement deux sens, c’est l’église où officie habituellement un évêque. C’est aussi, comme à Toul, une église qui fut jadis le siège d’un évêché aujourd’hui disparu. Métaphoriquement, c’est quelque chose d’important qui se place au-dessus de tout le reste comme peut l’être l’église-mère par rapport aux autres lieux de culte. On y trouve ce qui permet d’être mis au-dessus de ce qui est courant comme c’est le cas pour le trône (ou cathedra) de l’évêque. C’est aussi ce qui rend solennel des activités normales ou habituelles et leur donne une importance particulière du fait de leur qualité devenue éminente. Pour qu’il y ait cathédrale au sens figuré, il faut donc une promotion soit dans l’existence, soit dans l’essence.

Que tirer de cette remarque préalable, sinon que les photographies de Corinne Costa-Erard sont d’emblée mises au-dessus des images témoignant des gestes quotidiens des artisans. On passe des unes aux autres par un procès d’artification. Il y a eu une métamorphose qui est à proprement parler une sublimation. Il peut y avoir de la beauté dans les gestes de l’artisan. Mais dans les photographies réaménagées, on voit du sublime qui transcende le beau. Mais, à la différence de ce qu’en disent les analyses kantiennes, le sublime est ici accessible pour celui qui maîtrise les logiciels de traitement de l’image. Mais il paraît véritablement inaccessible aux autres, ce qui va créer chez eux des sentiments d’étonnement développant le respect face à l’œuvre donnée à voir plus que face au travail de l’artisan qui fut l’origine de l’œuvre.

 SILEX  CATHÉDRALES

Sophie Bijoutière

(VOIR LE PORTRAIT DE SOPHIE)

Tout cela pose beaucoup de questions qui dépassent de beaucoup l’esthétique du sublime. Il existe, en effet, de multiples façons de dénaturer les formes naturelles. On peut, et c’est le projet de l’esthétique classique, supprimer toutes les petites anomalies pour créer une forme parfaite, définie ou non par le nombre d’or. On gomme les imperfections pour créer une forme correspondant à l’idée qu’on se fait d’une beauté sans tache. C’est aussi le projet de la chirurgie esthétique, y compris dans ses formes extrêmes visibles chez Orlan. On vise alors à se rapprocher le plus possible le l’essence du beau même si on ne peut montrer qu’une incarnation du beau, ce qui interdit de fait à viser l’essence.

On peut aller plus loin avec la caricature ou l’expressionnisme en surlignant les anomalies avec le but de faire rire ou, ce qui peut revenir au même, à faire peur et à souligner les dangers qui peuvent exister sous les apparences. Il y a là un autre projet de nature ironique. On garde les formes naturelles, mais on pousse certains éléments pour changer le sens de la forme globale. C’est ainsi que Louis-Philippe finit par devenir une poire et donc cesser d’être un roi. Dans le fauvisme, on garde les formes, mais on joue sur les couleurs dont on va augmenter les contrastes pour renforcer les émotions de celui qui les contemple et les voit autrement.

D’autres solutions sont possibles avec l’impressionnisme ou le tachisme. On garde les formes naturelles, mais on les dénaturalise par exemple en créant de la discontinuité là où les formes naturelles étaient continues.

 SILEX  CATHÉDRALES Sarah  Luthière

(VOIR LE PORTRAIT DE SARAH)

Dans tous ces cas, avec le maintien d’un principe au moins partiel de mimétisme, les formes demeurent présentes. Mais on peut aussi les briser et c’est dans ce projet que s’inscrit le travail actuel de Corinne Costa-Erard. Comme l’avaient fait Braque ou Picasso avec le cubisme, elle s’empare des formes naturelles, celles dont témoignaient les photos, et parmi celles-ci les « belles » photos sélectionnées pour l’harmonie des formes ou des couleurs. Mais au lieu de considérer la photographie comme une représentation de la forme naturelle agissant sous le principe de mimésis, elle va en faire l’outil d’une transformation à la fois des couleurs et des formes.

Les possibilités sont infinies. Corinne Costa-Erard en a sélectionné deux seulement et c’est sur ce point que devra se concentrer la réflexion. D’une part, elle linéarise les formes naturelles. Un doigt, avec ses multiples particularités par exemple, va devenir un rectangle oblong « parfait ». Toutes les ridules disparaissent et la couleur devient homochrome, la forme continuant seulement à capter la lumière, seul lien avec le « réel » abandonné qui soit encore visible. L’image de l’église ordinaire a ainsi disparu et on a devant les yeux l’équivalent de la cathédrale sous sa forme achevée d’une construction gothique avec ses multiples audaces développées entre le XIIe et le XIIIe siècle. C’est la cathédralisation par le linéarisme. L’artisan est toujours là, mais l’œil n’en voit pratiquement plus rien, c’est la volonté de l’artiste qui s’impose en effaçant les images originelles. On a quitté l’image comme témoignage pour produire un projet artificatoire. On est passé de réel à l’art, ce qui implique, à la différence de Marcel Duchamp qu’il n’y a pas une beauté potentielle dans n’importe quel artefact, voir dans n’importe quel paysage redéfini comme exprimant une « beauté naturelle ».

 SILEX  CATHÉDRALES Sarah graveure

(VOIR LE PORTRAIT DE SARAH)

L’autre procédé, plus étrange, utilisé par Corinne Costa-Erard consiste, au contraire, à courber les courbures afin de produire des formes globales posées sur un fond relativement homogénéisé. Et celles-ci feront penser à un embryon.

Ces deux transformations se font dans un espace global bipartionné ou plus souvent tripartitionné et dans lequel des harmonies de couleurs sont systématiquement recherchées dans des gammes homogènes de couleurs pastellisées.

Dans les deux cas, les formes sont poussées à se développer autrement qu’elles ne l’ont fait dans la réalité. Elles partent vers un excès de linéarité dans un cas, de développement d’une complexité originellement absente dans l’autre cas. Dans un cas, il y a une tension vers une forme d’abstraction géométrique que contredit la présence résiduelle d’un élément du corps humain gardant le souvenir d’un artisan qui fut à l’origine de la forme. Dans l’autre cas, c’est la forme qui va devenir le point de départ d’autres formes complexifiées dans un processus d’organogénèse où l’organe de la main est déjà visible avant tout autre organe, avant même tout tube neural. C’est bien une poche des eaux qui apparaît sur le fond homogène et ce que l’on voit ce sont les tissus possibles en gestation avant toute parturition. Et dans ce cas, les lignes droites laissent toujours place à des courbes encastrées les unes dans les autres.

 SILEX  CATHÉDRALES  pisciculteur Frédérick

(VOIR LE PORTRAIT DE Frédérick)

Et ce sont ces deux types d’excès qui vont élever l’image au-dessus d’elle-même. Dans l’art classique, la beauté se présentait comme une forme de perfection. Elle n’était que formelle. Au contraire, vouloir faire de l’artiste autre chose qu’un démiurge remplaçant un ordre par un autre, capable de créer un ordre en le présentant comme co-créateur, voire comme créateur exclusif est un projet lié à la modernité, peut-être même à la post-modernité.

Que veut ce type d’art ? Le projet est de rompre avec la vision romantique qui voulait associer le grotesque au sublime afin de rendre compte de la capacité d’un créateur humain défini comme étant génial. Ici, on ne propose que deux points de vue sur le sublime, une fois disparue toute évocation d’un grotesque possible.

Resterait à savoir si cette artification par la sublimation est une cause de souffrance pour l’artisan tout d’abord dont le travail initial disparaît dans cette métamorphose des images qui célèbre désormais l’artiste et non plus l’artisan. Mais elle peut l’être aussi, comme chez Baudelaire pour l’artiste elle-même qui constate que des procédés artificiels produisent des formes d’une plus grande beauté que celles que produisait antérieurement sa propre main, voire son esprit concevant des productions médiatisées ne faisant pas appel directement à la main.

 SILEX  CATHÉDRALES Thierry maréchal ferrant

(VOIR LE PORTRAIT DE THIERRY)

Mais on peut aller plus loin et penser que ces tremblements du monde ne produisent pas de la souffrance, mais sont produits par une souffrance antérieure qui resterait invisible si elle ne s’exprimait pas ainsi lorsque l’artiste devient artisane et qu’elle ne conçoit l’acquisition du statut d’artiste que dans le sacrifice de la volonté de devenir artiste par l’expression directe de son propre corps. Pouvoir transfigurer n’est possible que par le sacrifice de soi. Une cathédrale est soudain là dont on se demande qui a pu la concevoir, œuvre collective, œuvre anonyme.

Penser l’œuvre de Corinne Costa-Erard, c’est penser une embryogénèse alternative, une exogénèse qui se place entre un ordre linéariste déjà là et un ordre organiciste en cours de développement à partir de formes souches. C’est paradoxalement en choisissant de devenir artisane à côté d’artisans que l’artiste souligne son statut d’artiste qui ne se contente pas de reproduire mimétiquement des formes, mais qui les crée comme pouvait le faire le « divin » Mozart. Et c’est en cela que la simple église devient « cathédrale », qu’une musique sacrée ordinaire peut de transformer en musique d’orgue, produisant du sacré à l’intérieur même du sacré. Ou qu’une cathédrale déjà engloutie peut ressurgir autrement définitivement bouleversée et redevenue œuvre vivante.

 SILEX  CATHÉDRALES Charles et Mika entreprise maçonnerie

(VOIR LE PORTRAIT DE Charles et Mika)

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