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Projet

1ère étape

Ce projet utilisera ce qui apparaît, dans un premier temps, comme étant des huit miroirs. Chacun voit son image en passant d’un miroir à l’autre. Cette donnée est primordiale. Chacun est présent, il fait partie intégrante de l’œuvre avant, mais aussi après la métamorphose qui se produira.

En effet, s’allument des leds et on voit soudain autre chose, des gravures sur plexiglas perçues comme étant rétro-éclairées et posées sur un cadre profilé en bois  de taille  150 x 100 cm. Au centre de la pièce, il y aura un seau avec du sable, un moule permettant de fabriquer des étoiles, une petite pelle et 12 pâtés de sable entourant le seau comme dans le drapeau européen. Le diamètre de cet ensemble mesurera 100 cm. Il y aura enfin une conque musicale et des dessins réalisés avec des pastels secs.

Il s’agit d’une œuvre immersive puisque l'espace de la galerie 379 aura comme fonction de servir de support, de toile à l'œuvre présentée.

Quand on entre dans la salle d’exposition, on ne voit rien sinon des surfaces monochromes bleues, réfléchissantes et disposées sur chaque mur tels des miroirs. Elles absorbent et renvoient la lumière, mais elles ouvrent également l'espace. Cette première mise en abîme peut perturber. Et elle le fera d’autant mieux que la surface réfléchissante sans image réagit à la présence d'une personne très proche. Un halo lumineux apparaît. La propagation de la lumière dans la matière se concentre dans les sillons qui ont été antérieurement gravés. Elle révèle alors la présence d’une gravure et celle d’une image réfléchie. Deux réalités s'imbriquent. Et l’on voit des corps qui semblent se noyer et disparaître.

Inutile de dire qu’il reste quelque chose de la première image perçue lors de l’auto-perception dans le miroir. Avant de voir les personnages qui peuvent être compris comme des êtres qui se noient, le visiteur s’est vu à leur place et s’il y a des images rémanentes, il peut ou voir les cadavres en bonne santé ou se percevoir lui-même comme un noyé potentiel. Voir un autre soi-même, un double d’emblée invisible du spectateur réel, mais en situation de détresse, cela peut déstabiliser l'idée de moi en détruisant son support spatio-temporel habituel. Il quitte son milieu aérobie pour se retrouver dans un milieu aquatique, il perd la vie pour se trouver cadavre inerte flottant dans les eaux. C’est l’identité qui vacille dans cette duplicité.

Les traits sont façonnés avec une fraise numérique qui grave l’image à la surface du support en plexiglas. Cela a un coût en fonction de la durée de l’utilisation de la fraise. En conséquence, comme la machine ne peut pas être monopolisée durant plusieurs jours, le nombre de traits a dû être réduit par rapport aux dessins initiaux. La contrainte financière se traduit en contrainte temporelle et modifie les projets initiaux.

En regardant l’autre côté de l’œuvre, on ne voit rien à cause de la surface sans tain, mais dès que la lumière traverse l’espace, le corps prend vie à condition que la surface placée de l’autre côté de la gravure, là où se trouve la lumière, soit de couleur claire, voire blanche. On ne perçoit la forme que dans ces conditions. On a l’impression d’un blanc givré. Celui-ci pourrait même se développer sur un fond blanc si on voulait symboliser la traversée des Alpes par des migrants passant par le col de l’Échelle. Si ce choix d’image était fait, on passerait de la problématique des difficultés internes de l’Europe actuelle à celle des migrants qui est un autre thème qui intéresse l’artiste. Le risque serait de faire penser que ces difficultés sont dues à un afflux de populations étrangères. Un prototype est à l’essai au début du mois de janvier. Car il faut vérifier comment se fera le passage d’un premier espace à un autre espace situé plus profondément dans la matière. On ne sait pas encore comment fusionneront les images de la personne et du drapeau européen sur le miroir avant de les voir disparaître au profit des représentations des noyés qui sont des images d’une altérité possible qui font irruption dans la vie de l’individu et qui peuvent même l’effacer. L’important sera de rendre la surface parfaitement lisse.

Les pâtés de sable sont eux aussi très fragiles. Il est plus que certain que le déplacement des visiteurs vont assez rapidement les détruire puisque le matériau employé a été choisi à cette fin. Ils devront donc sans cesse être consolidés et reconstruits. Ils font écho aux miroirs présents sur les murs de la galerie. Sur ces miroirs, la réflexion de la lumière glisse également, créant une atmosphère bleue autour des étoiles blanches, ce qui peut évoquer le drapeau européen. L’installation révèle des imperfections, des bulles d’air dans le matériau des gravures, de légers plis également. À son tour, le miroir déforme l’environnement et les personnes qui s’y reflètent. La réflexion, elle aussi, est distordue, tourmentée. Elle peut apparaître comme un mirage, donnant une impression de déséquilibre qui peut perturber le spectateur.

Il y aura enfin une conque, un très ancien instrument de musique à vent. Elle sera placée sur sa base. Mais des musiciens seront invités à venir en jouer car la conque annonce et prévient comme la mort passant avec sa faux. On pourrait solliciter des membres du groupe des instruments à vent du Conservatoire de Nancy. Il y aurait alors une performance dans la performance. L’une serait visuelle et l’autre musicale. À côté de la conque, sera accrochée au mur, le dessin d’une conque réalisé au pastel sec, avec un camaïeu de bleus, évoquant les simulacres, les songes et les rêves en analogie avec la coquille d’Odilon Redon. On sait que dans Sa Majesté des mouches, le roman de William Golding, la conque symbolise autre chose, le pouvoir de la parole. C’est ce qui permet le transfert dans l’espace du forum ou de l’agora et sous forme verbale de conflits qui pourraient faire exploser l’unité du groupe.

La conque musicale (ou vulve).

 

La conque est souvent associée à la vulve à cause de sa forme. Ceci peut expliquer sa relation au corps nu de la femme, relation qui est exploitée par quelques artistes de l’art contemporain (comme Hilde Atalanta) comme elle est présente dans le langage avec le mot latin « concha » qui signifie aussi bien un coquillage qu’une vulve.

Ces œuvres sont un aller-retour entre réalités paradoxales, dichotomiques, évanescentes afin de contribuer à donner du sens au [Sã], ce phonème qui se prononce « san » ou « sen » pouvant avoir des sens très différents alors qu'un seul se justifie à la fin de la performance, le signifiant polysémique pouvant devenir le signifié « sang ».

On pourrait ajouter, pour terminer avec cette exposition, qu’il est prévu de réaliser une douzaine de bouteilles de champagne, du moins ce qui semble, au premier abord, être une telle bouteille. Mais si on lève la bouteille devant soi pour regarder l’étiquette à l’envers au travers du liquide, on voit des gravures analogues à celles qui existent sur les panneaux miroirs qui se sont transformés en gravures au début de la mise en route de l’installation.  Une de ces bouteilles se trouvera dans le seau de sable au milieu de la pièce.

Plusieurs lectures sont possibles. On peut y voir le manque de netteté du projet européen puisqu’il est évident que les étoiles de sable placées sans protection sur le sol seront peu à peu détruites. Mais ce qu’on peut associer à cette destruction est la scène de naufrage qui entraîne des hommes et des femmes sous l’eau.

On peut aussi comprendre l’installation comme l’apparition d’images traduisant la différence et l’altérité lorsque l’image narcissique de soi disparaît et cela ne résulte pas d’un choix de l’individu, mais d’une lampe qui s’allume soudain sans qu’on sache quand ou pourquoi.

On voit donc dans cette installation une série de renversements : l’image perçue initialement comme sienne dans le stade du miroir devient image d’un autre dont le corps est en train de couler, les étoiles parfaites du drapeau européen se transforment en pâtés de sable plus ou moins écrasés. La vulve qui est espoir de vie se montre ici comme annonciatrice de la mort comme dans la mythologie antillaise. Le minéral inerte prend les propriétés du vivant capable de se reproduire. Ce qui n’est pas humain peut s’humaniser. On est donc en présence d’une pensée fondatrice de l’alchimie. Dans tous les cas, l’image initialement apparente laisse place à une autre image en apparence plus réelle née d’une gravure initialement invisible. Tout ce que l’on croit visible peut ainsi s’effacer face à un autre visible né de l’invisible.

Il serait intéressant de présenter cette exposition au Parlement européen de Strasbourg et à Bruxelles.

Texte avec la collaboration Jean François Clément

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